Un projet d’ensemble pour le rail wallon

Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, il est grand temps que la Wallonie se préoccupe de l’avenir du rail sur son territoire, sous peine de voir menacées l’efficacité du réseau et, à terme, la pérennité de nombreuses infrastructures. À l’inverse d’une politique d’investissements qui s’apparente trop souvent dans le Sud du pays à de l’improvisation ou à la défense d’intérêts sous-localistes, la transbrabançonne ferroviaire vise l’amélioration des performances de l’ensemble du réseau. Elle favorise en effet une meilleure utilisation des infrastructures existantes. Elle est susceptible d’initier une dynamique vertueuse qui, combinée à d’autres projets bien pensés, pourrait contribuer à un transfert significatif de la route vers le rail, tout en permettant au rail de faire face à une telle demande.

Une nouvelle liaison régionale transversale permettrait en effet d’augmenter la fréquentation des nombreuses lignes du réseau existant qui y seront connectées. Cet accroissement de la fréquentation alimentera à son tour la demande pour des services de trains plus nombreux. L’augmentation du nombre de trains et de leur taux d’utilisation sur l’ensemble de leur parcours augmentera la rentabilité du réseau dans son ensemble. Cela justifiera en retour de nouveaux investissements dans l’entretien et l’amélioration de l’infrastructure.

De ce point de vue, la transbrabançonne exercera un effet de levier important pour dynamiser l’ensemble du rail wallon. Elle augmentera en effet l’attractivité des tronçons actuellement utilisés bien en dessous de leurs capacités. À l’inverse, en créant des itinéraires de déviation plus directs ne passant pas par Bruxelles, le projet dégage quelques capacités supplémentaires sur les tronçons les plus saturés tout en offrant des liaisons incomparablement plus performantes pour les usagers transitant actuellement par Bruxelles alors que ce n’est pas leur destination finale.

Aujourd’hui, le tronçon de loin le plus saturé en Wallonie est situé entre Bruxelles et Ottignies et la mise à quatre voies en cours n’apportera selon toute vraisemblance qu’un répit de relativement courte durée (il suffit d’analyser ce qui s’est passé entre Halle et Bruxelles). Mais plus on s’éloigne de Bruxelles, moins la capacité ferroviaire est utilisée (moins de trains et statistiquement moins de monde dans les trains). Mutadis mutandis, ce phénomène se rencontre également sur les autres axes desservant la Wallonie depuis Bruxelles, et ce d’autant plus qu’Ottignies est, avec Namur, l’un des rares pôles importants de correspondances en Wallonie permettant des relations intra-régionales à peu près efficaces.

Cette situation n’est pas uniquement due à la géographie mais tient également à l’organisation du réseau. Celui-ci est historiquement centré sur Bruxelles. Cette tendance s’est renforcée avec la désaffectation progressive de la plupart des liaisons régionales en dehors de la dorsale wallonne et de de quelques lignes irriguant les lignes principales. Cela entraine un cercle vicieux : moins il y a d’usagers dans les trains, moins on fait rouler de trains et moins on investit dans l’infrastructure, ce qui décourage plus encore les gens de prendre le train, jusqu’à justifier la suppression de services, ce qui se répercute à son tour sur la fréquentation des autres lignes. Ce scénario a condamné un nombre incroyable de lignes et de gares.

Mais il est aussi possible d’engager une dynamique vertueuse au moment où la demande pour des alternatives à la voiture explose, y compris pour d’autres destinations que Bruxelles. Ainsi, la transbrabançonne alimentera les autres lignes à partir de Waremme vers Liège et au-delà, à partir d’Ottignies vers Namur et au-delà, à partir de Nivelles vers Charleroi et au-delà, et à partir de Soignies, vers Mons, Ath et au-delà. Dans chaque cas, la transbrabançonne alimente le réseau là où il dispose de réserves importantes de capacités. Cela justifiera en retour une amélioration des fréquences sur ces lignes, l’entretien des infrastructures, et ainsi à la fois l’efficacité et la rentabilité du réseau dans son ensemble, et ce du point de vue de l’usager, de l’exploitant comme des pouvoirs publics. À l‘inverse, il ne sera plus nécessaire de passer par Bruxelles pour aller de Louvain-la-Neuve à Braine-l’Alleud, Mons ou Ath, dégageant de la place dans les trains pour les voyageurs se rendant à Bruxelles.

C’est d’autant plus important que la plus faible rentabilité de nombreuses lignes en Wallonnie est un argument récurrent en Flandre pour freiner la réalisation d’investissements par la SNCB ou Infrabel dans le sud du pays. Dans la situation actuelle, l’argumentation n’est pas dénuée de tout fondement si l’on s’en tient au nombre de voyageurs embarqués dans les gares. Mais ces chiffres, effectivement largement insatisfaisants, ne tiennent pas uniquement à la plus faible densité de population au sud du pays comme cela est souvent avancé. L’occupation des trains, sinon des gares, est en fait assez largement comparable à celle que l’on connait en Flandre. Mais elle est proportionnellement beaucoup plus orientée vers Bruxelles, créant une utilisation beaucoup moins homogène du réseau. La sous-utilisation des infrastructures et la fréquentation relativement faible des grandes gares wallonnes (Liège, Charleroi, Mons) tient au moins en partie à un manque de liaisons et de correspondances intra-wallonnes. À cet égard, l’offre existante est en effet beaucoup trop parcellaire et souvent mal organisée. Or c’est précisément la principale vertu d’une liaison transbrabançonne que de créer à elle seule un grand nombre de liaisons régionales qui, séparément, n’ont qu’un potentiel limité mais qui, mises ensembles, sont significatives.

Une transbrabançonne ferroviaire pourrait ainsi être la pierre d’angle d’un redéploiement d’un réseau structurant de transports publics. Celui-ci aurait pour vocation d’offrir des connections efficaces entres toutes les parties du territoire en valorisant au maximum l’infrastructure existante. Le réseau serait ainsi à même de répondre aux défis d’une transition écologique qui se fait chaque jour plus urgente. Elle éviterait en même temps la duplication d’infrastructures existantes, particulièrement lourde et coûteuse. Sa philosophie consiste au contraire à (re)mettre en place des liaisons alternatives aux axes existants de manière à répondre à des besoins aujourd’hui négligés tout en allégeant la pression sur les axes les plus encombrés.