Le projet d’une liaison ferroviaire transbrabançonne est né de la rencontre de deux types de considérations : l’analyse des besoins présents et prévisibles en matière de mobilité à l’échelle de la région d’une part et l’analyse du réseau ferroviaire existant d’autre part. Les faiblesses de ce dernier sont envisagées tant du point de vue de l’usager, actuel ou potentiel, que du point de vue de l’exploitant, à savoir la SNCB et les pouvoirs publics qui la subventionnent. L’idée, simple, est de démultiplier les potentialités de l’ensemble du réseau existant en densifiant le maillage de celui-ci là où il existe des besoins évidents de déplacements.
La séquence de raisonnement est la suivante.
a. Partir des besoins de déplacement présents et prévisibles et les comparer à la configuration actuelle de l’offre de transports publics.
Le point de départ est un simple constat. Le Brabant wallon est la province wallonne qui connaît la plus grande croissance économique et démographique. Celle-ci semble appelée à durer. Elle va entrainer des problèmes croissants de mobilité que les infrastructures existantes (routes ou transports en commun) sont incapables de rencontrer, sans parler des conséquences sur le coût et l’accès au logement. L’asphyxie y est programmée à relativement court terme [1].
Ces besoins de déplacements sont de trois ordres, par ordre d’importance.
— Internes au Brabant wallon dont les différents pôles (villes, écoles, emplois, centres de loisirs) ne sont pas ou mal reliés entre eux par les transports en commun. Ceux-ci sont en effet majoritairement, voire parfois exclusivement, orientés vers la desserte de Bruxelles.
— Entre ces pôles et le reste de la Wallonie. Consultez les horaires de trains pour vous rendre de Nivelles à Liège ou de Mons à Wavre et vous comprendrez pourquoi les gens, s’ils ont le choix, prennent la voiture. Les itinéraires ne sont pas du tout directs, les correspondances aléatoires. Pour se rendre de Nivelles à Soignies, distantes d’à peine 20 km, il n’y a même pas de ligne de bus.
— Avec Bruxelles : c’est le seul aspect pris en compte par le projet RER alors que cela ne représente qu’une partie relativement faible de l’ensemble des déplacements. On ne peut donc focaliser l’ensemble de la politique de mobilité d’une province ou d’une région sur les problèmes d’accès à la capitale, même si ceux-ci sont importants.
Cette situation entraîne de facto une pression au tout à la voiture intenable à brève échéance (coût d’investissements et d’entretien des routes, raréfaction des terres disponibles, démultiplication des nuisances de toutes sortes,…).
b. Définir une organisation des transports publics apte à mieux répondre aux besoins identifiés
Pour répondre à ces besoins à la fois à l’échelle de la province et à l’échelle de la région, une liaison ferroviaire transversale (est-ouest) est la mieux à même d’offrir une alternative crédible au tout à la route tant en termes de fréquences et de temps de parcours que de capacité. Elle offrirait un axe structurant pour les déplacements internes à la province et serait connectée efficacement au reste du réseau, tant vers Bruxelles que vers l’ensemble de la Wallonie. De plus, des tronçons de cette liaison existent déjà, d’autres correspondent à d’anciennes lignes dont l’assiette existe encore en grande partie. La réussite du projet dépend cependant d’une exploitation valorisant des nœuds de correspondance efficaces permettant d’aller de partout à partout sans pertes de temps inutiles. Il faut donc concevoir la nouvelle ligne dans son intégration dans des réseaux plus larges.
Autrement dit, il est essentiel d’envisager ensemble l’infrastructure (la construction d’une ligne et l’ouverture de gares et points d’arrêts ) et l’exploitation à laquelle elle est destinée : le type et le nombre de trains que l’on veut y faire rouler ainsi que la connexion avec le reste du réseau et les autres modes de transports. En Wallonie, que ce soit au niveau des décideurs politiques ou des entreprises ferroviaires, cette démarche ne fait pas assez partie de la réflexion prospective. On pense bien trop séparément besoins, projets d’infrastructure et types d’exploitation sans souci de cohérence. Cela tourne même à la caricature lorsque l’on construit une gare pour la beauté du geste, sans amélioration substantielle de l’expérience des navetteurs, tout en prétendant néanmoins contribuer à une meilleure mobilité. Ce projet phare de nouvelle liaison ferroviaire régionale pourrait au contraire être l’occasion d’impulser un changement de mentalité, susceptible de faire école pour d’autres projets.
c. Une fois le projet décidé, il convient de mettre en œuvre les moyens de tirer le meilleur profit de l’infrastructure et d’en faire un levier sur l’aménagement du territoire. En particulier, le projet n’a de sens que s’il est couplé avec une concentration des fonctions urbaines autour des gares existantes ou à ouvrir.
Un projet aussi important - et coûteux - qu’une liaison ferroviaire ne se conçoit pas indépendamment d’autres enjeux territoriaux. Il contribue en effet à modeler un territoire, la manière dont les différents flux (de personnes, de biens,...) s’y établissent et s’y distribuent. Le succès d’une offre structurante de transports publics dépend donc également de décisions affectant la demande de déplacements. Concrètement, le succès des transports publics dépend de deux grands types de facteurs : la fiabilité de l’exploitation proposée et la localisation des activités humaines.
Une desserte ferroviaire à cadence fixe et fréquente (un train toutes les demi-heures dans chaque sens semble un bon objectif de départ), donnant correspondance de manière fiable vers un grand nombre de destinations, offrira une alternative crédible à une population qui n’utilisera les transports en commun qu’à cette condition. Mais elle offrira également une liaison efficace à cette part de la population qui utilise les transports publics parce qu’elle n’a pas tellement le choix (jeunes, personnes âgées, personnes à faible revenu), tout en lui donnant accès à des bassins d’emplois et à une offre scolaire ou culturelle qui lui est quasiment inaccessible aujourd’hui. C’est pourquoi les objectifs de fréquentation de la nouvelle ligne ne doivent pas se baser uniquement sur la fréquentation des lignes de bus existantes. Elle ne vise en effet ni le même public ni les mêmes types de déplacements.
La fréquentation dépend aussi de la localisation des pôles d’activité. La réouverture d’une ligne de chemin de fer en Brabant wallon doit aller de pair avec une concentration des activités économiques et commerciales autour des gares existantes ou à créer. Cela permettra d’une part de diminuer la pression sur l’utilisation dispersée du territoire disponible comme c’est le cas actuellement et assurera d’autre part la rentabilité économique et sociale du projet ferroviaire.
La transbrabançonne constituerait un instrument idéal pour relier les différentes parties du territoire et les différentes fonctions qui y sont présentes. Les rubans de bitume ne suffisent pas à remplir cette tâche. La politique du « tout à la route » a postulé que l’on pouvait éluder la question de l’organisation géographique des activités humaines en imaginant que l’automobile assurerait une mise en relation universelle et uniforme des hommes et des choses. Maintenant qu’il apparait de plus en plus clairement que cette politique nous mène au contraire à l’asphyxie et à toutes sortes de gaspillages (utilisation irrationnelle de l’espace, pertes de temps, pollutions de toutes sortes, atomisation des relations sociales, accidents...), il est grand temps de réfléchir de manière un peu plus proactive l’intégration sociale et territoriale des différentes activités humaines et de hiérarchiser les besoins de déplacement qu’elles entrainent.
[1] Cf. notamment le plan provincial de mobilité.